• Vers un changement de paradigme ?

    Pour une critique de la sportivisation du monde


     « L’humanité est encore prisonnière des fragmentations, des dualités, psychologiquement, l’humanité est dans l’antagonisme. On commence par élever les enfants dans la compétitivité, ensuite, la compétitivité devient un système mondialisé. Tant que l’humanité ne prendra pas en compte que nous sommes sur cette planète pour être solidaires, non plus dans la compétition et la destruction mutuelle, je ne vois ce que l’on peut faire… »

    Pierre Rabhi

     

    Le monde moderne, dominé par des individus, des entreprises et des pouvoirs omnipotents, a érigé la croissance illimitée en divinité et fait de la concurrence mondialisée sa religion. Ce paradigme est il durable ? Confronté à la « finitude de notre domaine », le rôle de notre civilisation n’est il pas de (re)penser sa condition afin d’éviter l’obsolescence ?

      

      

    Prendre soin du monde

    Survivre à l'effondrement des illusions

     

    « L'effondrement d'une illusion collective est toujours un choc pour une société, mais ce choc peut être salutaire s'il permet de reconstruire sur des fondations solides. L'illusion dont nous émergeons, c'est celle du «paradis sur terre». Qui peut croire encore à un monde sans guerres, sans misère, sans catastrophes naturelles ? Le tragique nous saute aux yeux, et nous ne savons plus lui donner de sens autrement qu'en promettant indéfiniment sa disparition.

    Les idéologies qui ont marqué le XXe siècle ont toutes abouti à des im­passes. Si nous ne voulons pas nous mobiliser pour une illusion sup­plémentaire, il nous faut intégrer le caractère tragique de l'existence et l'incertitude de l'avenir. Dans quel type de société voulons-nous vivre ? À quelle valeur donner la priorité : l'avoir ou l'être ? Le court terme ou le long terme ? Quelle place donner à la souffrance ? Autant de questions auxquelles il faut trouver des réponses neuves qui dé­passent les clivages habituels, progrès/réaction, libéralisme/socialisme, gauche/droite.

    Prendre soin du monde s'oppose à «se battre pour un monde meilleur» qui évoque un climat de certitudes idéologiques, de combat du Bien contre le Mal, et de foi naïve dans un avenir radieux. C’est une invitation à tenir compte de la complexité du réel, de la fragilité de la civilisation et de la nécessité de laisser la planète en bon état à nos enfants. »

    Emmanuel Desjardins, Prendre soin du monde (Ed. Alphée, 2009)

      

      

    De la sportivisation du monde

    Le sport pour dé-penser

      

    « La sportivisation généralisée de l’espace public au sein de la mondialisation capitaliste est l’une des expressions les plus achevées de la chloroformisation des consciences. L’omniprésence publicitaire du spectacle sportif, la prolifération des violences, corruptions, dopages et manipulations biologiques, l’instrumentalisation politiquement correcte de la fausse conscience sportive (« sport-culture », « sport-intégration », « sport-émancipation ») représentent la substance même du sport-opium du peuple, une propagande de masse véhiculée par tous les canaux de l’industrie de l’amusement.
    La tyrannie sportive que les divers despotismes, États totalitaires et régimes policiers ont toujours choyée comme une structure de contrôle politique s’est aujourd’hui affirmée dans l’interminable série des circenses où se renforcent le populisme, l’aliénation culturelle et la servitude volontaire. Les clameurs du stade, les « ferveurs », les « passions » et les « vibrations » sportives célébrées avec tant de complaisance par les idéologues postmodernes, loin d’être une manifestation de la « démocratie égalitaire », débouchent sur une nouvelle forme d’intégrisme : l’intégrisme des foules vociférantes, du culte de la performance, de l’abrutissement populaire par « la monstrueuse mécanique du divertissement » (Theodor W. Adorno, Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, Paris, Payot, 2001). »

    Jean Marie Brohm, La tyrannie sportive – Théorie critique d’un opium du peuple, Beauchesne, 2006

     

    Le sport apparait comme un opium du peuple, le support de propagande du système dominant, le vecteur idéologique de la guerre de tous contre tous.

     

    Pour approfondir ce vaste sujet hautement consensuel dont la critique est tabou et quasiment ignorée, voir la revue Quel Sport ? qui poursuit un travail d’investigation et d'analyse sur ce phénomène social total.

     

    « Le sport, c’est la guerre sans les coups de feu »    Georges Orwell 

     

     

    Panem et Circensens

    Du pain et des jeux

     

    « Déjà dans la Rome impériale d’il y a 2000 ans, le poète satirique Juvénale reprochait à la plèbe de ne plus réclamer que « du pain et des jeux » (Panem et circensens). Les classes dominantes surent domestiquer le peuple en lui concédant juste ce qu’il faut pour préserver la paix civile. Sans recourir à la violence et à la terreur face aux crises sociétales, rien de plus efficace en effet que « d’acheter » la reconnaissance des masses dominées en leur redistribuant de manière ciblée et dosée le « minimum vital». »

    Chronique d’Alain Accardo, La Décroissance N°65, décembre 2009 – janvier 2010  

      

    La ressemblance est frappante entre cette époque de l’antiquité et la situation actuelle.

    Au sein de nos « sociétés du spectacle » c’est la compétition sportive qui sert à domestiquer les masses au profit des dominants/possédants, il suffit de constater l'invasion véritablement totalitaire que représentent la coupe du monde de foot, les Jeux Olympiques, le Tour de France ... avec l'appui intéressés des médias.

     

     « Les grandes masses seront plus facilement victimes d’un gros mensonge que d’un petit » Adolf Hitler

      

     

    Décoloniser l’imaginaire

    « Promettre la richesse en produisant de la pauvreté est absurde. Le modèle occidental de développement est arrivé à un stade critique. Ses effets négatifs sur la plus grande partie de l'humanité et sur l'environnement sont évidents. Il est nécessaire de le freiner, de le ralentir, voire de l'arrêter avant que des luttes, des cataclysmes ou des guerres ne se déclenchent. Partout dans le monde apparaissent les îlots d'une nouvelle pensée créative qui aspire à une vie sociale et économique plus équilibrée et plus juste . Cette critique du développement bouscule nos certitudes et remet en question la pensée et la pratique économiques de l'Occident.»

    Serge Latouche, Décoloniser l’imaginaire, Ed Parangon

     

    Le paradigme actuel n'est pas durable

    Vue au travers du prisme de la politique indienne

      

    « Comme beaucoup d’autres pays, l’Inde tire profit de la mondialisation dans la course au développement économique »

    Ekta Parishad, Conférence internationale de mobilisation autour du Droit à la terre et aux ressources naturelles les 12 et 13 septembre 2011 à Genève, présentation, p4.

        

    En Inde, comme partout sur la planète, les ressources et les biens communs sont accaparés par les investisseurs avec l’assentiment des Etats. Il suffit de constater le « désordre global » pour comprendre que cette course au profit engendre le pillage des ressources (énergies fossiles, eau, forêts, terres agricoles...), les nécrotechnologies, le bétonnage de la nature, les injustices sociales et une paupérisation grandissantes… l’obsolescence programmée de l’humain.

     

    Comme nous le voyons, le paradigme actuel, fondé sur le dogme de la  «concurrence libre et non faussée », n’est pas viable. Cette « aliénation librement consentie » (Etienne De La Boétie, Traité de la servitude volontaire, 1576) est indigne de l’humain dans l’Homme.

      

    « La paix et le déploiement des cultures humaines ne se feront que si les hommes et les femmes, au Nord et au Sud accèdent à l’autonomie alimentaire, car se nourrir, nourrir sa famille et sa communauté sont le fondement de toute culture.

    Alors que les ressources de la planète suffiraient à nourrir douze milliards d'êtres humains, la pauvreté dans le monde s’accroît, la nature, considérée comme un bien matériel, est pillée, les écosystèmes se meurent.

    Le dogme d’une croissance infinie dans un monde fini est dépassé. Il est urgent de changer de paradigme, de reconsidérer le lien qui nous unit à la terre, de valoriser la coopération plutôt que la compétition pour le bien-être de l’humanité dans son ensemble. L’agroécologie le permet. »

    Fondation Pierre Rabhi

    « Le principal fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance mais le refus de savoir »

    Simone de Beauvoir

     

      

    De la nature humaine

    L’humain est il condamné à la barbarie ?

    « « On ne naît pas homme, on le devient », dit Erasme. En effet, la nature nous apporte toutes les informations nécessaires pour construire un membre de l’espèce Homo sapiens ; mais une autre source est nécessaire pour accéder à la conscience d’être. Cette source non biologique ne peut être que la rencontre des autres humains. Celui dont nous parlons lorsque nous disons « Je » n’est pas le locuteur lui-même : il est une personne faite de tous les liens résultant de ses rencontres. Notre spécificité, la performance qui nous distingue radicalement des autres vivants, est la richesse de nos échanges. Isolés, nous sommes des primates ; les rencontres font de nous des humains.

    L’interdépendance imposée par les limites de notre domaine crée des conditions favorables à la multiplication de ces rencontres ; elle est donc une chance, mais encore faut-il savoir en tirer parti. Or rencontrer est un art difficile ; cela s’apprend ; l’enseigner à tous est la tâche première de toute communauté.

    Il se trouve que le modèle de société actuellement dominant, le modèle occidental, peut certes se prévaloir de succès magnifiques dans l’ordre de l’efficacité ; mais il a totalement échoué lorsqu’il s’agit de mettre les humains face à face. Il a en effet commis l’erreur de prendre pour moteur la compétition, c’est-à-dire la lutte de chacun contre tous.

    Au long d’une aventure humaine, tout se joue lors des rencontres. Ramener celles-ci à un affrontement qui désignera un gagnant et un perdant, c’est perdre toute la richesse d’un échange qui pourrait être bénéfique à tous. C’est pourtant ce que notre société nous présente comme une nécessité. La place démesurée donnée par les médias aux événements insignifiants que sont les résultats sportifs est l’exemple extrême de cette déformation caricaturale. La vie de chacun, individu ou collectivité, est ainsi réduite à une succession de batailles, parfois gagnées, mais qui aboutissent à une guerre, d’avance perdue. Quel gâchis ! »

    Albert Jacquard, Finitude de notre domaine, Le Monde Diplomatique, mai 2004

     

    « L’homme n’a pas de nature, il a une condition et une histoire, une histoire individuelle qui prend place dans une histoire collective. Or, tout ce qui a une histoire n’a pas de définition parce que tout ce qui a une histoire est en devenir et on ne peut définir que ce qui ne devient pas, ce qui est déterminé de telle sorte que quoi qu’il arrive, ce qui est ne devient pas, ou pas foncièrement, pas essentiellement. »

    Jean Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, œuvre tirée d’une conférence donnée à Paris le 29 octobre 1945

      

    Comme nous le constatons, définir la nature humaine est impossible car elle n'est pas déterminée. La barbarie n'est donc pas inéluctable.

      

    « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » Martin Luther King

      

      

    Primum Nil Nocere

    "Résister se conjugue au présent" Lucie Aubrac

      

    La différence d’échelle de risque avec le passé est que nous avons maintenant la capacité de détruire toute vie sur Terre, et de multiples façons plus perverses les unes que les autres.

     

    Pour prendre soin du monde et vivre dans un monde durable et solidaire, la priorité est de clairement identifier le paradigme mortifère qui génère les maux de notre monde afin de le déconstruire et laisser place au nouveau.

      

    Cette attitude reflète la philosophie qui présida il y a 2400 ans avec Hippocrate dans le premier principe de son serment : « Primum Nil Nocere » (d’abord ne pas nuire).

      

      

     

    Philippe, objecteur de concurrence

     

      

    « voir l'invisible, dire l'indicible, penser l'impensable » (revue Kitej)

    Cette modeste compilation de textes n’a de prétention que de tenter d’apporter  une réflexion sur le fonctionnement de notre monde et aider à la construction d’un esprit critique.